Je m’arrêtais, et j’avais l’impression que pour la première fois, elle abandonnait son air si sérieux et si solennel. « Vous m'avez persuadée de quitter mon île, seigneur Blackrain. Un entraînement ne devrait pas se montrer si difficile. » Le rouge lui monta aux joues et je n’eus pas de mal à deviner pourquoi : elle venait juste d’avouer qu’elle avait accepté d’aller à Denerim, enfin en partie, à cause de moi. J’eus un petit sourire mais ne fis aucun commentaire, pour éviter qu’elle ne soit gênée ou autre. « Quoique je dois dire que votre précaution pour ne pas me blesser me touche. Je suis plus résistante que vous le pensez. », dit-elle dans une précipitation qui m’étonnait. Mais surtout, elle me fit penser à quelqu’un qui avait disparu de ma vie depuis quelques années.

Je riais et la regardais comme offensé. Je n’allais pas me laisser faire aussi facilement. Le silence retomba progressivement, et durant quelques secondes, chacun fut pleinement concentré sur son assiette. « Votre frère m’a dit que vous souhaitiez apprendre à vous défendre » — « C’est le cas, mon Seigneur. Je n’ai pas envie que le monde me voit comme une fille fragile » Je ne voyais pas pourquoi il la verrait comme cela… Elle a un caractère plutôt difficile ! « Je vous propose mes services. Je tenterai de ne pas vous faire mal ? » Cette fois, ce fut elle qui sembla offusquée : « Je dois dire que votre précaution pour ne pas me blesser me touche. Je suis plus résistante que vous le pensez ! »

Je sortais de mes pensées, choqué par la similitude frappante des deux propos. Leandra venait de dire exactement les mêmes mots qu’Aurélia, quatre ans plus tôt. Mon sourire avait un peu disparu. Ce n’était pas parce que je n’étais plus officiellement en deuil qu’elle ne me manquait pas, que penser à elle ne me rendait pas nostalgique. Beaucoup me demandent de tourner la page, mais elle est encore présente, et il est beaucoup plus dur qu’on le croit de penser à une autre. Je posais ma main sur le pommeau de mon épée et souris à la jeune femme qui me faisait face. « Je… Je vous crois. C’est peut-être moi-même que je cherche à ne pas blesser » Un petit regard espiègle et je prenais la peine de chasser l’image d’Aurélia. Arès avait raison, je devais réellement tourner la page ; même s’il avait l’air de proposer Leandra, je savais que c’était impossible. Elle est une femme déjà mariée. Dommage… Un mariage Falrelden-Sheheron aurait été une bonne idée, je crois.

« Montrez-moi ce que vous savez. Votre mari est chef de la tribu guerrière, si j’ai bien compris, non ? Vous devez avoir remarqué quelques prises ? »

Je tirais mon épée simplement pour lui faire comprendre qu’elle pouvait commencer à essayer de me désarmer. « Vous apprenez vite, Lord Blackrain » Ce fut à mon tour de sourire. Lord Blackrain, jamais on n’avait appelé un membre de ma famille ainsi. Les conventions voulaient qu’un nom royal soit précédé de « Sire » plutôt que « Lord », réservé aux familles vassales. Sire Blackrain, Lord Hope, par exemple. Je tâcherai de lui expliquer sur le navire, durant ce long trajet jusqu’à Denerim. Leandra ne bougea toujours pas et sembla réfléchir, essayant probablement de se remémorer une ou deux tactiques de désarmement. Personnellement, j’attendais, même si la patience ne faisait pas partie de mes qualités. « Je l’ai déjà vu… faire ça… », Dit-elle enfin. Son bras vint attraper le mien, et je sus immédiatement ce qu’elle tentait de faire. Qu’importe le lieu, certaines techniques étaient identiques… Amusant et étrange. Usant de mes muscles, je bloquais mon poignet pour qu’elle ne puisse pas me le tourner et me faire mal. « C’est injuste, je n’ai pas votre force ! ».

Son ton désespéré me fit rire, et je ripostais, évidemment, comme si ce n’était pas de ma faute si elle n’y arrivait pas. « Un réel ennemi ne sera pas aussi gentil ! Et puis, pourquoi n’utilisez-vous qu’une seule main ? » Les mots semblèrent faire leur chemin jusqu’à ses pensées puis ses mains, car une force supplémentaire vint aider la première. J’eus à forcer un peu plus et désormais, mon épée commençait à bouger en suivant les réactions de mon bras. C’est qu’elle était plutôt en forme, la jeune femme ! Je finis par la laisser gagner en lâchant mon épée sous la pression. Je la ramassais, essayant de ne pas trop me pencher, et fis le commentaire en même temps. « C’est bien, mais soyez plus dure et réactive. Vous devez être sans pitié. Si un jour vous avez à vous battre contre un homme, ce ne sera pas moi ». Je rangeais mon arme, lui faisant comprendre que nous allions principalement nous concentrer, pour l’instant, sur le combat à mains nues.

« On va commencer par le plus "simple". Première chose à faire ? Tentez de désarçonner votre ennemi. Vous êtes une femme, et si un jour vous avez besoin de vous défendre, vous ne serez sûrement pas en face-à-face avec votre agresseur. Il vous aura prise au piège, par exemple… » Je m’étais mis à marcher en voulant la contourner, m’arrêtant juste derrière elle. Là, je vins la coller rapidement à moi en coinçant ses bras et en plaquant une main sur sa bouche. « Dans la plus grande majorité des cas, c’est dans cette position que vous vous rendrez compte de ce qui se passe. Deux choses à faire : essayez de mordre votre ennemi. Il va relâcher la pression et profitez en pour lui tordre l’auriculaire avec votre main la plus libre » J’en arrivais au point de défense que je trouvais le plus affreux. « S’il résiste… Hum… Il sera concentré à vous bloquer le haut de votre corps, mais vos jambes seront libres. Utilisez-les à bon escient : une partie très intime de son anatomie vous serez facile d’accès, si vous voyez ce que je veux dire ? ».

Je rougis un peu, mais gardais un petit sourire. Elle était toujours sous mon emprise, et je devais être un peu masochiste, car je lui proposais d’essayer. « Ça ne marchera pas à tous les coups si vous ne connaissez pas ces étapes par cœur. Vous devez être rapide, et le seul moyen d’y arriver, c’est de répéter. Je vous demande d’être douce, par contre… Je ne suis pas comestible, et je ne suis pas un oreiller dans lequel on peut frapper sans lui faire mal… » Je riais un peu puis la serrais encore plus fort contre moi, imitant des conditions d’attaque vraisemblables. Je n’avais jamais été aussi proche d’une femme en dehors de la couche. Ce genre d’agresseurs avait l’habitude, mais pas moi. Une sensation étrange m’envahit, mais je me concentrais sur l’exercice, la laissant peu à peu de côté.